LA FLEUR SACRÉE DE L'INDE ET SON HÉRITAGE PARFUMÉ : LE JASMIN SAMBAC ET LE JASMIN GRANDIFLORUM — PT.2
Célèbre pour ses épices et sa riche biodiversité, l’Inde est aussi connue pour sa grande spiritualité. Vous vous demandez peut-être pourquoi nous parlons de spiritualité ? Parce que les fleurs sont probablement l'une des meilleures représentations de leurs rites et cultes religieux, et pas n'importe lesquelles !
L'Inde cultive depuis des siècles deux espèces de fleurs endémiques particulières : Le Jasmin Sambac depuis des centaines d'années, et depuis quarante ans le Jasmin Grandiflorum.
Nous nous sommes rendus sur place, à Sathyamangalam, dans le Tamil Nadu (sud de l'Inde), pour assister à la récolte et à l'extraction du Jasmin Sambac, et découvrir les secrets de la culture du Jasmin Grandiflorum avec NESSO, l'un des plus grands producteurs des deux concrètes de Jasmin du pays.
Laissez-nous vous faire voyager et plongez dans l'histoire de l'incroyable matière première de Dancing Light à travers le dernier article du Blog d'Olfactive Studio !
C'EST REPARTI !
Au printemps dernier, nous vous avons présenté le Jasmin, les différentes espèces qui poussent sur notre chère planète Terre, un peu d'Histoire, un peu de chimie et son utilisation en parfumerie. En bref, nous vous avons donné un aperçu de cette fleur si spéciale. Maintenant que vous connaissez la base du Jasmin, accrochez-vous car nous allons entrer dans les détails croustillants !
L'Inde est le principal producteur mondial de Jasmin Sambac, et NESSO est une entreprise qui produit de la concrète de Jasmin - le produit de l'extraction par solvant volatile des pétales - depuis plus de quarante ans. NESSO n'est pas la seule car la concurrence est rude, compte tenu de la demande constante de Jasmin en parfumerie fine.
Seuls 35 à 40% de la production nationale de Jasmin sont destinés à des usages industriels (y compris la parfumerie). Les 60 à 65% restants sont utilisés dans les industries locales et servent principalement à des fins traditionnelles.
Ashwath (Chef de la Division des Extraits Floraux & Marketing) et Nanda Kumar (Directeur Général de l'Unité d'Extraction de Sathyamangalam) ont accueilli notre équipe de reportage dans l'une des principales zones de production de Jasmin du pays : la zone de Coimbatore, et plus précisément dans la ville de Sathyamangalam - dans le sud-ouest de l'Inde, région du Tamil Nadu, district d'Erode.
TROIS SITES POUR TROIS INGRÉDIENTS MAJEURS
Comme indiqué plus haut, la zone de Coimbatore est l'une des deux principales zones de production de Jasmin en Inde. Le Jasmin Grandiflorum est la principale matière première cultivée ici, mais le Jasmin Sambac et la Tubéreuse y sont également produits. La deuxième zone est la capitale culturelle du Tamil Nadu, Madurai (au sud-est de Coimbatore), qui est la première zone de production de Jasmin Sambac - elle est réputée pour son marché aux fleurs traditionnel où les ventes de Sambac ont lieu.
Nous devons mentionner Mysore, la troisième zone - au nord-est de Coimbatore - essentiellement pour la culture de la Tubéreuse (Polianthes tuberosa). À Mysore, le climat n'est pas idéal pour les deux espèces de Jasmin. Néanmoins, certains agriculteurs le cultivent dans cette région, mais pas à grande échelle et uniquement pour un usage domestique.
Ces zones sont spécifiquement et géographiquement conçues pour que chaque espèce puisse s'épanouir. La meilleure qualité de fleurs pour chaque espèce provient de leur zone de production respective.
Mais tout d'abord, avant d'entrer dans le vif du sujet, jetons un coup d'œil (ou de nez) au Jasmin parmi nos créations.
LE JASMIN DANS LES PARFUMS D'OLFACTIVE STUDIO
Nous n'avons pas attendu la naissance de Dancing Light, en mai dernier, pour habiller nos parfums du roi Jasmin ! En effet, ses grandes sœurs Chambre Noire et Flash Back in New York nous ont donné un aperçu de la magie que cet ingrédient pouvait exercer sur une composition parfumée...
DANCING LIGHT
En tête du tout premier parfum floral-blanc d’Olfactive Studio, la Bergamote d’Italie (Citrus bergamia) nous interpelle par sa facette acidulée si pétillante. Cette sensation rafraîchissante n’est pas seulement due à cet agrume si apprécié en parfumerie mais également à plusieurs matières premières aromatiques qui marquent notre nez dès le départ du parfum.
Tout d’abord nous avons la Menthe Glaciale (Mentha piperita glacialis) dont le côté froid très montant, confère au départ du parfum cet éclat givré du grand nord Norvégien dont il s’inspire. Cette fraîcheur est aussi soutenue les Aiguilles de Pin de Sibérie (Pinus pinastere), de la famille des conifères terpéniques, à la fois montant et aux accents d’Eucalyptus, il s’accorde parfaitement aux facettes aromatiques des notes de tête.
Sentez-vous les épices dites « froides » parmi les notes de tête ? La Cardamome du Guatemala (Eletteria cardamomum) dont la facette zestée s’allie à celle de la Bergamote est aussi poivrée, tout comme sa consœur épicée la Baie Rose de l’Océan Indien (Schinus molle) qui possède des facettes fruitée et florale. La première facette se marie à l’accord Ananas ensoleillé et au crémeux accord Lait de Figue, et la deuxième introduit le cœur floral de Dancing Light.
Le cœur se pare d’un merveilleux bouquet de fleurs blanches composé d’ingrédients naturels et d’accords subtils imaginés par la parfumeure. Nous avons le splendide Jasmin Grandiflorum d’Égypte (Jasminum grandiflorum), floral en toute évidence, si solaire, fruité, et même animal (facette due à l’indole), et le doux Néroli du Maroc (Citrus aurantium) à l’apaisante facette miellée et verte rappelant la feuille de son arbre (l’oranger). L’accord Freesia interprète le suave parfum de cette fleur lumineuse proche du Jasmin, tandis que l’accord Seringa, aussi appelé « jasmin des poètes » ou « mock-orange » en anglais (orange fictive) nous offre des airs de Fleur d’Oranger.
Un autre ingrédient s’ajoute au cœur dans lequel celui-ci fait perdurer la fraîcheur… C’est le Lavandin de France (Lavandula aspic), petit frère de la Lavande, dont la facette lavandée caractérisée par l’acétate de linalyle (son composant principal) apporte un aspect floral-frais raffiné.
Ce sont deux bois nobles qui comblent le fond de Dancing Light, le premier nous vient d’Inde, c’est le Santal (Santalum album) avec sa facette lactée si unique qui prolonge l’effet de l’accord Lait de Figue. Boisé est le Santal certes, mais il rappelle aussi les fleurs jaunes, faisant de lui un compagnon idéal pour un parfum fleuri !
Le Bois de Cèdre (Juniperus virginiana) quant à lui, nous vient tout droit de Virginie. Son côté résineux fait écho aux Aiguilles de Pin, et sa facette terreuse se joint à celle des Mousses (Evernia furfuracea), elles aussi boisées évoquant les sous-bois, ainsi qu’ambrées. Nous retrouvons cette dernière facette, dans les voluptueuses Notes Ambrées qui dansent en fond de Dancing Light, main dans la main des tendres Muscs moelleux.
FLASH BACK IN NEW YORK
Dans ce parfum cuiré-boisé-épicé, ce sont de chaudes épices alliées à la fraîcheur lavandée – due à sa molécule linalol – et aromatique de la Sauge Sclarée (Salvia oficinalis) qui nous caressent les narines aux premiers abords. Celles-ci sont le Cumin (Cuminum cyminum), puissant et si caractéristique des cuirs avec ses facettes poudrée et cinnamique, et le précieux Safran (Crocus sativus) subtilement cuiré et fruité. L’accord Fleur de Coton quant à lui fait référence à des Muscs à la fois doux et floraux.
Les épices de Flash Back in New York se marient à un cœur floral marqué par la richesse de l’Absolue Jasmin d’Égypte (Jasminum grandiflorum) avec son côté animal et fruité, et par la facette poudrée-irisée de l’accord Violette – se voulant fleur dans cette fragrance et non verte comme sa feuille. Cet accord ainsi que les notes cuirées en cœur s’allient au Cumin en tête, souvent associé à des notes florales-poudrées.
Le fond se ressent chaleureux et réconfortant, avec ses facettes prédominantes boisée et fumée. Celles-ci sont dues à la présence de deux matières premières emblématiques des cuirs que sont l’essence de Bouleau (Betula alba) et le Vétiver (Vetiveria zizanoïde). Le premier est très fumé – rappelant même l’odeur du barbecue – et tabac, procurant un effet encens (malgré l’absence de cet ingrédient), et le second lui aussi fumé – plus finement – possède un côté terreux.
Vient s’ajouter à ce fond attirant l’Absolue Fève Tonka (Dipterix odorata) arrondissant le tout, matière première balsamique dévoilant des facettes miellée, amandée et tabac.
Composé par le parfumeur New Yorkais Jérôme Epinette, Flash Back in New York surprend les nez par ses contrastes olfactifs, tout comme cette ville surprend celles et ceux qui la découvrent pour la première fois.
DÉCOUVREZ FLASH BACK IN NEW YORK
CHAMBRE NOIRE
Dans Chambre Noire, le jasmin que nous rencontrons n'est autre que le Jasmin Grandiflorum - un jasmin sombre - à la fois floral et animal ! De la tête du parfum ressort la poivrée Baie Rose (Schinus molle), avec son léger côté zesté. Matière première coûteuse, elle se marie bien avec la facette boisée du parfum qu’elle agrémente par son côté floral-épicé. Ce dernier sert de jonction entre la tête et le cœur.
Parfum de fond, Chambre Noire, dévoile vite son cœur avec le Jasmin d’Égypte (Jasminum grandiflorum) mais ce n’est pas tout ! Le Papyrus (Cyperus scariosus), dont le rhizome odorant est extrait (comme le Vétiver) apporte une facette épicée aux bois du parfum, tout en s’accordant avec eux par sa facette terreuse rappelant le Vétiver. S’allie au jasmin l’accord Violette avec son côté floral-poudré et sa petite note fruitée-fraise.
L’Encens (Boswellia carteri) est bien présent, soulignant le caractère boisé sensuel de la fragrance. C’est un encens très balsamique, facette soutenue par l’Absolu Vanille (Vanilla planifolia), elle-même douce et vanillée. Son côté épicé s’accorde à merveille avec la Baie Rose, et le Papyrus, qui possèdent chacun des notes épicées caractéristiques. Arrondi par la Vanille, l’accord Pruneau se veut fruité et liquoreux, et fait écho à la facette fruitée de la Violette.
En fond nous avons le couple de bois Patchouli (Pogostemon cablin) et Santal (Santalum album). La facette fleurs-jaunes du Santal résonne avec le Jasmin (fleur blanche) et sa facette lactonique avec la Vanille et les Muscs. Le Patchouli boisé-terreux quant à lui, et sa note chocolat noir s’associe avec la facette douce de la Vanille pour éveiller nos papilles par le biais de notes gustatives ! L’association de ces deux matières premières boisées à l’Encens accentue sa puissance boisée-résineuse (contrairement à Ombre Indigo où il est plus fumé) et donne presque un effet Oud (Aquilaria malaccensis).
Les Muscs possèdent une facette crémeuse s’accordant au laiteux Santal, ainsi qu’un côté fruité rappelant les fruits rouges, s’associant à l’accord Pruneau du cœur. La Vanille, par son côté épicé, rejoint la tête de Baie Rose, et fait persister les épices en fond. L’accord Cuir offre un fond opulent et envoûtant, dont la facette animale s’accorde avec celle de la Vanille et des Muscs.
Avec Chambre Noire, nous avons un parfum boisé-balsamique, procurant une véritable sensation de chaleur vanillée. Le tout possède des aspects très orientaux aux notes florales jasminées, et évoquant le Oud (ingrédient aux facettes animale-boisée-ambrée-fumée).
Et si nous sortions de la chambre aux senteurs sombres pour retourner en Inde du Sud, au royaume du Jasmin ?
LA PRODUCTION INDIENNE DE CONCRÈTE DE JASMIN AU FIL DU TEMPS
La production totale de Jasmin en Inde est menée par le Jasmin Grandiflorum - qui représentait 8 à 8,5 tonnes jusqu'en 2016 - et suivie par le Jasmin Sambac avec 6 à 7 tonnes produites chaque année.
NESSO, qui est l'un des principaux producteurs de concrète au niveau national, a introduit le Jasmin Sambac dans ses cultures en 1992, devenant ainsi son troisième ingrédient majeur et extrait floral après la Tubéreuse et le Jasmin Grandiflorum. Ils ont été les premiers à présenter le Jasmin Sambac comme ingrédient aux parfumeurs occidentaux !
INDE VS ÉGYPTE : DES CONCURRENTS DE LONGUE DATE
Si l'Égypte a été historiquement le premier pays producteur de Jasmin Grandiflorum dans les années 1950, l'Inde est devenue un grand concurrent au milieu des années 1970. En 2017, la production indienne a diminué et le marché s'est naturellement rabattu sur l'Égypte pour des raisons de prix - 1,5K dollars par kilogramme de concrète de Jasmin Grandiflorum indien contre 1,2K dollars/kg de concrète de Jasmin Grandiflorum égyptien - parallèlement à des raisons de qualité.
Pendant deux années consécutives (2017 et 2018), cela a affecté les agriculteurs et les fabricants indiens car la hausse des coûts de production a conséquemment eu un grand impact sur les ventes de Jasmin Grandiflorum. L'Inde ne pouvait plus rivaliser avec le marché égyptien et a perdu une fraction importante du marché.
Résultat : la production de jasmin Grandiflorum a été ralentie et la baisse de la demande pour cette part du marché indien a rendu la situation très difficile à gérer pour les producteurs locaux. Cela a conduit les agriculteurs à remplacer les cultures de Jasmin Grandiflorum par d'autres ingrédients plus rentables.
AU CŒUR DES CHAMPS DE JASMIN
FLASHBACK SAMBAC
Nous vous emmenons à Sathyamangalam, dans le district d'Erode, dans l'État du Tamil Nadu, en Inde du Sud, près de la ville de Coimbatore et juste à côté des célèbres montagnes Nilgiri - à 130 km de la ville royale de Mysore, dans l'État du Karnataka.
Il est 7 heures du matin - 23 mai 2022 - et la récolte du Jasmin Sambac a commencé il y a une heure, à 6 heures. L'heure de fin varie chaque jour, elle se déroule généralement jusqu'à 11 heures du matin et peut souvent se terminer vers 2-3 heures de l'après-midi.
Chaque jour, M. Ravichandran, l'agriculteur à qui nous avons rendu visite, obtient 80 kg de fleurs fraîches de ses cultures. Il possède 11 hectares, dont 7 à 8 hectares sont consacrés aux cultures de Jasmin Sambac. L'ensemble du terrain appartient à toute sa famille (père, mère, femme et enfants), et les cultures de Jasmin ont été commencées par son père il y a 6 ans.
UN TRAVAIL MÉTICULEUX
Sur le terrain consacré au Jasmin Sambac, une seule section fleurit à la fois. Lorsque la floraison est terminée dans une section, elle commence dans une autre. Cela permet à l'agriculteur de disposer d'un approvisionnement continu en fleurs et de maintenir une main d'œuvre régulière. La cueillette se fait également par section, car il est difficile de trouver du personnel pour l'ensemble du terrain, étant donné sa surface. M. Ravichandran fait travailler 20 à 22 cueilleurs par jour. Ils cueillent les bourgeons non éclos qui s'épanouiront légèrement dans la soirée.
Les cueilleurs travaillent en rangées, chacun d'entre eux cueille les bourgeons de Jasmin sur deux rangées. Ils sont libres d'utiliser l'objet de récolte qu'ils veulent : certains utilisent le tissu en surplus de leur sari, d'autres utilisent un sac - ils peuvent choisir ce qui leur convient le mieux. Les cueilleurs sont payés à l'heure et non à la quantité qu'ils ramassent. Leur revenu horaire est de 70 roupies, ce qui équivaut à 1 euro. Néanmoins, ils doivent apporter 5 à 6 kg de fleurs en moyenne, par jour. En général, ils collectent 5 kg en période basse, et jusqu'à 10 kg en période de pic (avril).
À LA MERCI DU CLIMAT
La production de fleurs diminue pendant la saison des pluies (juin à septembre). La semaine précédant notre visite a connu de fortes pluies, expliquant pourquoi la production de fleurs pendant notre séjour était plus faible que d'habitude.
Voulez-vous entendre quelque chose d'intéressant sur le Jasmin Sambac ? Eh bien, la floraison des fleurs atteint son pic pendant deux semaines, puis retombe en dessous ou dans la moyenne pendant les deux semaines suivantes, avant d'atteindre à nouveau son pic pendant deux autres semaines ; et ceci se poursuit entre avril et mi-septembre.
Les cultures ont besoin d'une température élevée pour bien pousser, et donnent à terme un bon rendement d'environ 4 tonnes par hectare !
ET LE CYCLE CONTINUE
La floraison du Sambac peut normalement commencer dès fin février ou début mars. Aujourd'hui, en raison des conditions météorologiques changeantes, tout est retardé de deux à trois semaines. Le pic de floraison du Jasmin Sambac a lieu en avril, mai, et juin.
En termes de durée de vie, une plantation dure 10 ans. Lorsque la plante atteint l'âge de 10 ans, son rendement devient trop faible. La plantation que nous avons visitée avait 7 ans, ce qui lui accorde encore 2 à 3 ans d'exploitation. Après 10 ans, les agriculteurs transplantent de nouvelles cultures. Tous les jeunes plants sont repiqués depuis la pépinière jusqu'aux nouveaux champs.
EAU-CONOMIE
Les deux espèces de Jasmin ne requièrent pas trop d'eau. Pendant la saison des pluies, on n'utilise pratiquement aucune irrigation hormis les précipitations naturelles. Eventuellement, 1 ou 2 litres d’eau par heure et par hectare suffisent à maintenir les cultures hydratées ! Pendant la saison sèche, 4 litres d'eau sont utilisés par heure et par hectare, tous les 3 jours. Si la saison sèche est intense, 5 litres peuvent être consommés (avril-mai).
Le barrage voisin de Bhavanisagar fournit de l'eau à la région, pour toutes les cultures agricoles : Jasmin, banane, plantain, canne à sucre.
UNE AFFAIRE DE CHÈVRES
De nombreux agriculteurs - comme M. Ravichandran - utilisent des chèvres parmi les cultures. Pourquoi ? Vous vous demandez sans doute... Parce que les 600 chèvres louées réunies dans des champs de jasmin clôturés - une fois la récolte terminée - sont présentes pour la fumure (engrais naturel provenant des excréments des animaux). Les animaux paissent à l'extérieur des champs pendant la journée et rentrent le soir pour fournir du fumier organique à la terre (au lieu de produits chimiques nocifs). Les chèvres couvrent tous les champs un par un, jusqu'à ce qu'ils aient tous été récoltés.
Tous les agriculteurs ne choisissent pas cette alternative, et NESSO travaille avec les deux cas spécifiques : les agriculteurs qui choisissent du fumier naturel ou du fertilisant artificiel (environ 50/50).
Une fois la saison de floraison terminée, les chèvres sont également amenées dans les plantations pour manger les feuilles. Cela facilite la taille des plantes - ce qui permet de doubler leur croissance en replantant les boutures coupées.
À la fin de la saison, la moitié de la récolte totale de jasmin Sambac aura été taillée. Le Jasmin Sambac est taillé à un niveau plus élevé que le Jasmin Grandiflorum, à environ un mètre du sol.
LA CAPITALE DU SAMBAC : MADURAI
Madurai est la zone principale pour le Jasmin Sambac ; il n'y a pas de Jasmin Grandiflorum. À Madurai, vous trouverez le célèbre marché aux fleurs, où le Jasmin Sambac est vendu. Traditionnellement, le Jasmin Sambac est acheté par les fabricants sur le marché aux fleurs et n'est jamais fourni directement par les agriculteurs. Cette pratique donne aux entreprises telles que NESSO moins de contrôle sur les cultures de Sambac à Madurai. En revanche, à Sathyamangalam, NESSO a l'exclusivité des cultures de Sambac de ses agriculteurs, ce qui signifie que les fleurs de cette zone vont directement à l'usine après la récolte (par opposition au marché).
NESSO travaille avec 90 agriculteurs dans la région de Madurai pour le Jasmin Sambac, où la surface cultivée par agriculteur est plus petite que dans la région de Coimbatore. Elle varie de 0,25 à 0,3 hectare à Madurai, contre 6 à 7 hectares par agriculteur de Jasmin Sambac à Sathyamangalam.
Tous les paramètres chimiques sont presque identiques pour la concrète de Jasmin obtenue de chaque zone de production. Il est donc possible de mélanger les Jasmins Sambac achetés sur le marché, sans tenir compte de leur origine dans le district de Madurai.
PROPRE À CHACUN
La durée de conservation du Jasmin Grandiflorum est plus courte, ce qui explique pourquoi les fleurs écloses sont cueillies - ce qui permet également de conserver le parfum jusqu'à l'extraction - alors que pour le Jasmin Sambac, ce sont les bourgeons non éclos qui sont récoltés. Le soir, la récolte quotidienne de Sambac arrive à l'usine : les bourgeons sont étalés sur le sol, et ont partiellement fleuri (fleurs en partie ouvertes).
Le Jasmin Grandiflorum est trop fragile et ses fleurs délicates ne survivraient pas jusqu'au soir pour être correctement extraites. La qualité de sa concrète ne serait pas optimale.
Toujours en raison de sa durée de conservation plus courte, le Grandiflorum n'est pas employé traditionnellement dans la culture indienne. Le Sambac règne sur le pays - vous le trouverez décorant magnifiquement les tresses des femmes, et le moindre temple. Le Jasmin Grandiflorum ne résisterait pas à un tel usage car les fleurs sont laissées à l'air libre pendant des heures, voire des jours.
TERRAINS COMMUNS
Les deux Jasmins poussent sous forme de buisson. Dans les plantations, on leur laisse suffisamment d'espace entre chaque plante pour leur permettre de bien se développer jusqu'au début de la saison de floraison. Lorsque la nouvelle saison commence, les cultures sont bien nettoyées : toutes les mauvaises herbes sont enlevées car elles pompent l'eau destinée au Jasmin, menaçant ainsi sa croissance saine (surtout pour le Grandiflorum, plus gourmand en eau).
En effet, le Jasmin Grandiflorum nécessite plus d'eau que sa sœur Sambac. De plus, sa durée de vie est plus longue que celle du Sambac - pas moins de quinze ans !
Tant pour le jasmin Grandiflorum indien que pour le Jasmin Sambac, la fleur est d'un blanc immaculé, mais la concrète est orange ! La fleur a tendance à foncer vers une couleur rougeâtre en raison de sa teneur en indol (une molécule caractéristique). La teneur en indol du Jasmin Sambac est plus élevée - comme on peut le voir sur les fleurs de Sambac orangées qui ornent les cheveux des femmes.
Le Jasmin Grandiflorum égyptien est complètement différent de son cousin indien, que ce soit au niveau de la couleur, du parfum ou de la commercialisation.
EMPORIUM GRANDIFLORUM : LA ZONE DE COIMBATORE
Comme nous l'avons mentionné précédemment, la meilleure région de production du Jasmin Grandiflorum se trouve autour de Coimbatore, une ville industrielle - les cultures se trouvent sur les terres proches des villes provinciales comme Sathyamangalam où nous nous sommes rendus.
Le Jasmin Grandiflorum a été importé en Inde depuis la France par NESSO il y a environ 40 ans. Les cultures se sont développées avec le temps et c'est aujourd'hui l'un de leurs produits principaux parmi leurs extraits floraux. Aujourd'hui, pas moins de 180 agriculteurs de la région de Sathyamangalam cultivent le Jasmin Grandiflorum, contre environ 120 pour le Jasmin Sambac.
SÉSAME, OUVRE-TOI !
Il existe deux types de production de concrète pour le Jasmin Grandiflorum, l'un est " fleur ouverte " correspondant à la récolte des fleurs écloses, qui a lieu dans la zone de Coimbatore - c'est la plus courante. Dans une autre portion du Tamil Nadu (région), les fleurs sont cultivées pour être récoltées sous forme de bourgeons, où l'on cueille les fleurs lorsqu'elles ne sont pas encore écloses (tout comme le Sambac).
Le Jasmin Sambac indien, quant à lui, possède une seule variété de concrète. Il n'y a pas de grades de qualité au sein des sortes de concrète - comme c'est souvent le cas pour les ingrédients naturels - chaque sorte offre une qualité unique.
Toutes deux sont utilisées pour des usages domestiques, et en parfumerie après avoir été extraites et transformées en concrète et en absolue. Néanmoins, la meilleure qualité de concrète est la concrète "fleur ouverte", que ce soit au niveau de l'odeur, de la couleur ou du rendement.
Le rendement standard de l'absolue de Jasmin Grandiflorum (obtenue à partir de la concrète) est de 55%, et encore meilleur pour l'absolue de Jasmin Sambac avec un minimum de 60%.
VOICI LA SAISON
La saison du Jasmin Grandiflorum commence lentement en juin avec un faible rendement, avance vers le pic en août-septembre et se termine en décembre (parfois jusqu'à mi-janvier). Les cueilleurs collectent les fleurs de 6h du matin jusqu'à 12h-13h.
À Coimbatore, le Jasmin Grandiflorum ne reçoit pas le même traitement que le Jasmin Sambac de Madurai : il ne passe pas par le marché, mais directement des agriculteurs à l'unité d'extraction. Il en va de même pour les fleurs de Jasmin Sambac cultivées à Coimbatore.
À Sathyamangalam, vous remarquerez que le sol est rouge carmin en raison de sa forte teneur en fer (Fe). Si le sol ne contient pas assez de fer, la plante devient blanche. Heureusement, aucune maladie du jasmin n'a affecté de manière significative les cultures que NESSO transforme.
TERRE DE FEMMES
Nous avons visité une deuxième ferme : de Jasmin Grandiflorum, cette fois. Les champs appartenaient à la famille Ponnusamy, composée principalement de femmes, et étaient plus petits en taille avec 200 plantes de 2 à 4 ans (0,25 hectare). Les agriculteurs ont tendance à posséder jusqu'à 700-1000 plantes ! Ces femmes possèdent 3 hectares au total qui sont également utilisés pour cultiver des aliments pour le bétail et des bananes.
Avec un quart d'hectare de Jasmin, la récolte quotidienne moyenne atteint 7 kg de fleurs (40 g par plante). Notons que le Jasmin Grandiflorum est plus léger que le Sambac et occupe moins de volume. Sur l'ensemble de la saison, 1250 kg sont obtenus par cette famille.
Tous les agriculteurs construisent une résidence sur leurs terres - comme nous avons pu le constater - car ils doivent être sur place pendant la saison pour gérer les cultures et nourrir leur bétail.
CHERS PÉTALES
Au cours d'une saison (qui dure 6 mois pour le Grandiflorum), les agriculteurs reçoivent un paiement chaque semaine, en fonction de la quantité de fleurs qu'ils ont récoltées et du prix qui a été fixé. Tous les agriculteurs reçoivent équitablement le même prix au kilogramme.
Pour 1 kg de concrète de Jasmin Sambac, 720 kg de fleurs sont nécessaires, alors que pour le Jasmin Grandiflorum, seuls 320 kg de fleurs fraîches sont nécessaires pour obtenir 1 kg de concrète. Au niveau de l'agriculteur, il ou elle vend 1 kg de fleurs de Grandiflorum à NESSO (ou à une autre entreprise) pour 3 à 3,5 dollars.
UN MARCHÉ MOUVANT
Cette année, le prix des fleurs de Jasmin Sambac a explosé par rapport aux années précédentes ! Par explosé, nous voulons dire qu'il a littéralement doublé. La raison de cette augmentation est une demande importante - les acheteurs continuent à faire monter les enchères pour obtenir la quantité de fleurs dont ils ont besoin lors de la vente aux enchères du marché aux fleurs de Madurai - parmi les fabricants, et des récoltes moins nombreuses, réduisant l'offre.
Un kilogramme de fleurs de Sambac fraîches coûtait autrefois 120-140 INR (roupies), ce qui équivaut à environ 1,64 $, et aujourd'hui, il est passé à 250-260 INR, ce qui correspond à près de 3,5 $/kg ! Pendant ce temps, le Grandiflorum est resté en retrait à 2,5 $/kg. Cela a entraîné le doublement du prix de la concrète, qui est passé d'environ 1500 dollars à plus de 3000 dollars par kilo, rendant plus difficile pour les fournisseurs comme NESSO de convaincre leurs clients d'acheter chez eux.
Bien que le Jasmin Grandiflorum soit généralement le plus connu - pour sa notoriété et son prix onéreux - cette année, c'est le Sambac qui est sous le feu des projecteurs avec son augmentation de prix vertigineuse !
AUX ORIGINES : À L'USINE
Nous sommes le lundi 23 mai 2022, 19 heures, et nous sommes dans l'usine de production de concrète de Sathyamangalam. Construite en 2014, c'est la dernière venue de NESSO dans l'entreprise.
Nous aurions deviné à des kilomètres ce qui se passe à l'intérieur... Pourquoi ? Parce que le parfum envoûtant des mille fleurs parle de lui-même, ou permettez-moi de dire " sent de lui-même " ! Le sol est déjà recouvert de dizaines de milliers de bourgeons de Sambac posés à l'intérieur, au-delà de la porte, et sur toute la terrasse !! C'est un spectacle extraordinaire auquel nos yeux et notre nez ont la chance d'assister - il faut le voir/le sentir pour le croire.
UN PROCESSUS PRÉCIS...
Les sacs de toile de jute remplis de boutons de jasmin Sambac proviennent de différentes plantations situées tout autour de la zone de Mettupalayam (une ville au nord de Coimbatore) depuis 18 heures. Ils continueront à arriver au moins jusqu'à 20h30, et plus tard encore.
Environ onze hommes assurent le roulement, pendant lequel les fleurs sont étalées sur le sol, car elles contiennent encore un peu d'humidité, et sont éventées pendant 1h30 à 2h pour éliminer ce paramètre indésirable. Cette pratique donne également du temps supplémentaire aux fleurs pour s'ouvrir davantage et libérer leur parfum pour l'extraction à venir. Les bourgeons arrivés à 18h auront idéalement fleuri en partie vers 8h30-9h - permettant à l'hexane (solvant) de pénétrer dans les fleurs et d'extraire leurs composés parfumés.
Cette technique est également utilisée pour le Grandiflorum, et permet de se débarrasser de l'eau qui est parfois ajoutée par certains agriculteurs pour que leurs récoltes pèsent plus lourd afin d'être mieux payés.
Une fois les fleurs sèches, elles sont chargées dans des paniers en osier qui sont amenés par un automate électronique à l'étage supérieur pour atteindre l'ouverture des cuves de distillation. L'usine possède six cuves d'extraction de plus de deux mètres de haut, chacune pouvant contenir un volume de 500 kg de fleurs.
...& LA PRODUCTIVITÉ À SON APOGÉE
La capacité d'extraction est de trois tonnes de bourgeons de Sambac par soir. Pendant toute une saison, 3000 kg seront extraits quotidiennement, sans interruption !
Chaque cuve possède 6 plateaux sur lesquels les fleurs de Jasmin sont disposées séparément. Cela permet à l'hexane de mieux pénétrer entre les fleurs. Les plateaux sont lavés à l'eau après chaque extraction, et laissés à sécher pour la suivante. L'eau restante sera séparée de la concrète (produit final) pendant le processus d'extraction, car celle-ci restera au fond de la cuve en raison de sa densité.
À la fin de l'extraction, le processus de drainage du solvant a lieu pour éliminer l'hexane à l'aide d'un évaporateur à vide, après quoi la concrète est recueillie. Le filtrage a lieu avant la dernière étape du procédé. A partir de l'extraction de la nuit dernière, 4,25 kg de concrète de Jasmin Sambac ont été obtenus.
La semaine dernière (du 16 au 22 mai 2022), la météo annonçait une forte chaleur, mais les matinées ont été fraîches, expliquant pourquoi la récolte des fleurs n'a pas été aussi fructueuse qu'on l'espérait, bien que ce soit le pic de la saison.
"CAN’T STOP WON’T STOP"
Les fleurs ne cessaient d'arriver ! Ce dont nous avons été témoins est le résultat du travail de 14 agriculteurs. Ils apportaient les bourgeons de Sambac qu'ils avaient cueillis après 14 heures, et avaient envoyé la récolte du matin au marché aux fleurs de Madurai. De cette façon, les fleurs destinées à l'extraction du soir étaient plus mûres, plus grosses (du fait de l'exposition au soleil tout au long de l'après-midi), donc prêtes à être extraites dans quelques heures.
Pour être claire, la récolte du matin aurait également pu être extraite le soir, mais étant donné la capacité limitée de l'usine, et les terres voisines des agriculteurs, cette stratégie a été établie pour vendre et utiliser la totalité des fleurs cueillies.
À 20 heures, 1167 kg de jasmin Sambac de Sathyamangalam avaient été collectés et apportés - deux autres véhicules chargés de quantités comparables étaient encore attendus.
Dix minutes plus tard, à 8h10, les paniers étaient enfin remplis de fleurs pour charger les cuves. A 8h40, le premier réservoir était complètement chargé, fermé par une corde en coton servant de joint et verrouillé par des boulons. Dans la foulée, le remplissage de la deuxième cuve avait déjà commencé.
COUP D'ŒIL SUR LE MONDE DE NESSO
En termes de volume, NESSO extrait le plus de fleurs de Jasmin Sambac, suivi des fleurs de Jasmin Grandiflorum. L'entreprise exporte chaque année de 900 kg à 1 tonne de concrète de Jasmin Grandiflorum, et 1,5 tonnes de concrète de Jasmin Sambac - ce qui en fait l'un des principaux fabricants et exportateurs de Jasmin Sambac (concrète et absolue).
Même si l'entreprise occupe une position dominante en étant parmi les trois premières entreprises productrices de Jasmin Grandiflorum ( concrète de "fleur ouverte" et de bourgeons), il y a évidemment des concurrents. Un autre fabricant majeur de Jasmin en Inde est Jasmine Concrete Exports Private Limited.
En outre, NESSO est la seule entreprise indienne dans ce domaine à avoir mis en place trois unités de production dans trois endroits stratégiques différents (Mysore, Sathyamangalam, Madurai). Le siège social de NESSO à Mysore et la première usine ont été construits en 1979. En 1989, l'usine de Madurai a été bâtie pour extraire le Sambac et uniquement le Sambac !
UN CERCLE VERTUEUX
Lorsque la concrète est prête à être exportée, l'entreprise envoie d'abord un échantillon du lot. En parfumerie de luxe, une qualité constante est requise pour une production homogène de concentré de parfum - les mêmes caractéristiques olfactives doivent être présentes pour toutes les productions. Si le client (une maison de parfumerie) est satisfait de l'échantillon, NESSO lui envoie la quantité requise de ce même lot.
Le PDG de Nesso est Anirudh Ranga, l'entreprise emploie 85 personnes directement, et des milliers indirectement (agriculteurs, cueilleurs). Les agriculteurs sont choisis en fonction de certains critères et de l'expérience de l'entreprise sur le terrain. Pendant la saison des récoltes, le contact avec les agriculteurs est essentiel car l'entreprise ne peut pas rendre visite à toutes les terres de ses agriculteurs !
L'objectif principal et la priorité de l'entreprise sont la qualité. Pour ce faire, il est essentiel de maintenir une relation saine avec ses agriculteurs. Les regards vifs sur leurs visages et leur attitude rayonnante lors de notre visite des terres en disaient long. Dans chaque ferme, nous avons assisté à des échanges respectueux et féconds entre les représentants de NESSO, les agriculteurs et leurs familles.
Si la qualité est bonne, le client achète, le produit se vend et tout le monde est gagnant. Leur mantra est "tout le monde doit gagner, le client, l'agriculteur et nous". Telle est la culture de l'entreprise.
LE COUSIN MYSTÉRIEUX
Et si nous terminions sur une note intrigante ? Avez-vous déjà entendu parler d'une troisième espèce de Jasmin, également extraite pour son parfum ? Si votre réponse est non, ne vous inquiétez pas, moi non plus avant de découvrir son existence en Inde !
Le Jasmin auriculatum - appelé "jui" en bengali - est une autre espèce endémique à l'Inde, y poussant. Il n'est extrait qu'en très petite quantité car la demande et le nombre de fleurs ne sont pas suffisants pour une production à grande échelle. Son parfum est complètement différent de celui de ses deux autres cousins, mais il est plus proche du Sambac que du Jasmin Grandiflorum.
Anna Grézaud-Tostain pour Olfactive Studio